Harcèlement, exclusion et résilience : un témoignage de vie au travail et au-delà
Victime de harcèlement moral au travail, diagnostiqué autiste Asperger à l’âge adulte, l’auteur retrace son parcours marqué par la marginalisation, la dépression, mais aussi par la lucidité, la solidarité et l’engagement. Ce récit personnel met en lumière les mécanismes insidieux du mobbing, les limites des dispositifs d’intégration, et l’importance de l’éducation et du respect pour construire des milieux de travail réellement inclusifs.
L’emploi est aussi un lieu de relation sociale. Nous tissons des liens avec nos collègues, nos supérieures et supérieurs. Et parfois, que l’on aime ou pas l’activité que l’on entreprend, ces relations sociales tournent mal. L’éducation collective des adultes à une communication saine, à la tolérance, à apprendre à demander de l’aide favoriserait un environnement de travail épanouissant pour toutes et tous.
Le harcèlement c’est le fait de s'en prendre à une autre personne afin d'en tirer un « profit » pour soi-même. Le harcèlement existe sous plusieurs formes mais selon moi il est surtout moral. Par moral, je pense avec des mots. Il peut également être physique en s’attaquant physiquement à une personne. Une personne qui harcèle est pour moi un individu qui a besoin de se mettre en valeur vis à vis de la communauté. Une personne avec des « facultés » d’harceleur bénéficie d’un rapport de force face à sa victime. Elle profite de sa position de supériorité. Le harcèlement moral est basé sur des insultes, des reproches infondés. On fait comprendre à ses victimes que ce sont des « bons à rien ». A force de répétition, la personne harcelée va y croire et finira par perdre confiance en elle.
« Aujourd’hui je vais mieux mais je dois vivre avec cela »
Je suis autiste Asperger et en raison de cette pathologie, je suis différent des personnes « neurotypique ». Je suis une personne sensible et je pense que ma pathologie y est liée. Je suis facilement attaquable par un groupe de personnes. Je suis une « cible » idéale. J’ai été diagnostiqué vers l’âge de 33 ans, du moins c’est à cet âge que je l’ai appris. J’ai toujours eu un comportement d’autiste Asperger, c’est une raison pour s’en prendre à moi. Je vois d’autres raisons toutes aussi injustifiées pour être victime de harcèlement, j’en nomme quelques unes, elles sont non exhaustives : Ethnie, religion, handicap, être défavorisé (pauvreté), avoir une orientation sexuelle, etc.
Après mon apprentissage d’employé de commerce, j’ai été engagé dans une fiduciaire. Quand j’étais au travail, j’avais des grandes facultés rédactionnelles mais j’avais des difficultés relationnelles avec quelques chefs, pas tous, j’étais un peu lent pour certaines tâches. J’y ai collaboré pendant 3 ans environ, j’étais victime de mobbing. On m’a vite donné le sale travail. Après 3 ans, j’ai été renvoyé. J’ai retrouvé du travail à Genève chez un tour opérateur japonais. Je suis resté 5 mois. Mon supérieur direct harcelait absolument tout le monde. Il était très raciste, spécialement envers les japonais. Je n’ai jamais toléré la parole raciste, discriminante, j’ai démissionné. J’ai ensuite eu de petites missions sur Genève et sur la Riviera. Ce fut la fin de ma carrière professionnelle.
J’ai eu une très grosse dépression, ça s’est soudainement passé. J’ai fait une tentative de suicide, la seule de toute ma vie. J’y ai renoncer en 10 minutes par moi-même. C’était une période intense. Aujourd’hui je vais mieux mais je dois vivre avec cela. Après cette période, j’ai été placé dans divers ateliers protégés, c’est des très mauvais souvenirs. J’en ai une très mauvaise opinion encore aujourd’hui. Pour moi ce sont des lieux où l’on est en marge de la société. Qui ne nous permettent pas d’être intégrés avec les personnes qui ont un travail conventionnels. Ces ateliers sont utiles, lorsqu’une personne est atteinte d’une pathologie trop importante. Par exemple pour moi lorsque j’étais au plus bas. Mais ensuite je ne voyais plus le sens de cette activité. Ces ateliers protégés ne m’apportaient aucun épanouissement. J’ai demandé de l’assistance à l’assurance invalidité pour avoir un véritable travail dans une entreprise et avec une compensation financière de leur part. Ma demande n’a pas été acceptée et cette dernière m’encourageait à continuer dans la voie des ateliers protégés. J’ai sèchement refusé et je ne le regrette pas. J’ai décidé de faire du bénévolat dans la fondation mère Sofia, à la soupe populaire.
« Je fais de belles rencontres et la pire rencontre de ma vie »
La fondation mère Sofia, je l’ai connue par les réseaux sociaux, un ami Facebook la suivait et j’en ai fait de même. Cette fondation vient en aide à travers toutes ces structures à des personnes défavorisées par la vie. Elle correspond donc à mes valeurs. J’y fais de belles rencontres, j’y ai connu mon meilleur ami, il était bénéficiaire et également bénévole. Il y a eu malheureusement la pire rencontre de ma vie. Une personne bénévole était manipulatrice, raciste et harceleur avec tout le monde. Il était derrière tout le monde et peu de monde le supportait. Il est venu à la soupe, il est devenu copain avec le logisticien et il a commencé à profiter de sa place. Comme il était là tous les jours, les gens ont pensé qu’il n’était pas bénévole mais un supérieur. Il regardait comment les gens travaillaient, faisait des commentaires, donnait des ordres, se comportait mal. Dans la cuisine pour prendre des ustensiles à la place de demander il te poussait sans s’excuser. Ça créait des tensions. Une bénévole était tellement fatiguée de son comportement qu’elle l’a traité de « connard ». Lui il a déposé plainte contre elle. C’était exagéré. Il se sentait tout puissant. Un soir, il a dépassé les bornes.
On allait chercher les invendus dans un supermarché et en attendant la fermeture on est allé boire un verre. Au moment de payé il a mal parlé à la caissière. Déjà là j’étais pas bien. Après ça il a fait tombé de la nourriture par terre, sans faire exprès. Mais au lieu de ramasser et de s’excuser comme n’importe qui, il a crié sur la nettoyeuse : « Nettoye ! Nettoye ! Nettoye ! » Je lui ai fait un commentaire et il m’a crié dessus aussi. Il m’a répondu que j’avais rien à lui dire. J’ai réfléchi toute la soirée pour savoir si je devais faire remonter cet événement. Je savais que ça allait mal finir. Finalement il a été renvoyé de la soupe populaire. Cet événement ça m’a permis de réaliser que dans les situations de harcèlement il y a les leader, les moutons et les victimes. C’est une toute petite minorité qui a des comportements déplacés face à une toute petite minorité de gens. La grande majorité elle est passive, elle ne fait rien.
« Soit t’es capable de supporter la pression, soit t’es exclu »
Je pense que l’éducation et les explications sont bien plus efficaces que la punition. L’éducation est l’arme la plus puissante pour régler une partie significative des problèmes dans ce monde et pas seulement le harcèlement. Mon vécu m’a appris beaucoup de chose. Il ne se passe pas une journée sans une pensée pour la période où j’étais dépressif. Actuellement, j’y pense 5 à 10 minutes sur toute une journée. Je pense que c’est sain. Les décisions amènent des risques. Je prends beaucoup de décisions en fonction de ma santé. Je me demande si ça en vaut vraiment la peine. Dans le domaine du travail, intégrer des personnes avec mon expérience apporterait beaucoup mais il n’y a pas d’entre deux. Soit t’es capable de supporter la pression, soit t’es exclu. Alors que les gens en difficulté ont développé une forme de volonté, une capacité à demander de l’aide mais aussi une envie d’aider. Le fait de nous mettre de côté, de nous placer dans des ateliers protégés c’est une forme d’exclusion. Pousser les gens à collaborer, à travailler ensemble, d’être au contact de tout le monde, quel que soit son état de forme nous amène à travailler différemment, à nous comprendre, à apprendre à vivre ensemble.
Si vous êtes victime de harcèlement, contactez l’Association Stop au Harcèlement pour obtenir écoute, soutien et accompagnement.
Site web : Stop au harcèlement
Formulaire de contact: Contacter l'Association
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