De la colère à la militance

Nous le constatons, notre société devient de plus en plus inégalitaire et le fossé entre riches et pauvres, abyssal.
L’office fédéral de la statistique démontre en 2018 que sans les diverses aides et rentes sociales, 30,8 % de la population seraient considérés comme pauvres. En prélevant les transferts sociaux nous gardons un 7.9% de personnes qui peinent à joindre les deux bouts. Familles monoparentales, peu ou pas de formation initiale, problèmes de santé, travail précaire, solitude et isolement sont des facteurs à risque.
Ce qui ressort de notre accompagnement de plus de 40 ans aux côtés de familles dans la précarité est que : dépendre de l’Etat pour faire vivre les siens est humiliant. Chaque petite dépense est à justifier, aucun écart n’est toléré et la suspicion prévaut à l’empathie. Nous constatons aussi, que par souci d’économie de temps et d’argent, les droits des personnes dans la précarité sont parfois bafoués. Omettre de transmettre que les dossiers personnels sont disponibles pour consultation, empêcher des enfants placés de voir leurs parents par manque d’organisation, ou ne pas parler de cette aide de l’Etat qui pourrait être touchée.
De cette accumulation émerge un sentiment d’injustice et de colère. Qui, sans possibilité de s’exprimer peut vite se transformer en passivité et démission de la vie politique et sociale.

Pourtant, c’est aussi avec l’élan de cette colère qu’une société peut changer.
Dans ce 123ème numéro, nous approchons les personnes engagées à l’AFQM afin de traverser avec eux leur parcours de militants, pourquoi se sont-ils engagés - à quelles fins - ce que cela leur apporte - comment voient-ils la suite.
Nous aborderons aussi les bénéfices et les biais des oeuvres caritatives ainsi que de l’Etat providence.
Puis nous verrons comment susciter et nourrir le militantisme au sein de notre association afin de créer du changement.
Tout d’abord : qu’est-ce que la militance ?
L'injustice, la colère et la militance
Militer vient du latin militare qui veut dire être soldat. Ce qui implique une notion de lutte, de combat pour une cause, de défense de droits. Par son côté combatif, elle sous-tend une force, un besoin de changement. Ainsi la militance peut être nourrie par un sentiment d’injustice, de colère ou de vif enthousiasme.
Les membres de l’AFQM sont composés de personnes cumulant, depuis parfois plusieurs générations, diverses formes de précarités. Mais aussi de bénévoles et de professionnels, convaincus de l’utilité de s’unir pour la cause du Quart Monde. Au fil des ans, nous avons vu des aides s’ajouter au filet social existant. Nous avons constaté des hausses ainsi que de nouvelles rentes. Pourtant, le sentiment d’inutilité, d’être un « cas soc », une famille « à problèmes », lui, perdure…. Nos membres ont de la difficulté à se voir partie prenante de notre société.
Castel[1] va même plus loin en dénonçant nos politiques sociales et en les accusant d’avoir échoué à réintégrer la majorité de leurs bénéficiaires, de leur ménager une place reconnue dans un réseau de relations d’interdépendance qui constitue une société.
Ce sentiment d’exclusion en engendre forcément d’autres, dont la colère…
Et la colère peut être cette force de rassemblement qui suscite la militance. C’est-à-dire, comme le décrit Hosselet[2], cet engagement qui peut être dans un collectif, dans une communauté de sens, ou dans une lecture du monde, qui donne prise sur nos sociétés et nous inscrit dans une histoire et une identité.
En nous extirpant de notre vie personnelle, la militance contribue à une restauration de l’estime propre, redonne un sentiment d’être utile au monde.
A l’ AFQM, ce militantisme se traduit par le « faire avec », par redonner à nos membres un « pouvoir d’agir » et un droit à l’expression et à la parole.
Militer, c’est mener une lutte pour faire disparaitre la source du problème sur le long terme. Cela passe également par la prévention qui pourrait éviter que des mêmes schémas se reproduisent sur plusieurs générations. Selon cette idée, l’association devrait continuer ses actions militantes au détriment de ce qui s’apparenterait à de la charité
Marinette
- Activités de l’Association